Se concentrer? Pas possible!

A la base, il avait juste décidé de visiter un peu l’endroit, comme il venait d’arriver. Avoir son léger problème de mutisme l’empêchant de demander un plan, il avait été forcé de se débrouiller seul. Attrapant son carnet et son crayon, au cas où il aurait besoin de s’exprimer, le jeune garçon s’était aventuré dans ce territoire hostile où il venait de débarquer. Devant son regard se trouvait une paire de lunettes de soleil. Vivre enfermé dans sa chambre l’ayant rendu un brin sensible à une trop forte luminosité. Ce jour-là, il portait un t-shirt délavé qui oscillait entre le blanc et le rose selon les endroits et un pantacourt blanc. Ainsi que des baskets. Bref, une tenue adaptée à l’aventure. Quoique, à ce niveau là, il ne se passa rien de bien extraordinaire durant sa promenade. A un moment, le gamin manqua de s’étaler sur le sol, après avoir marché sur son lacet défait. Cela lui arracha un léger soupir et il s’empressa de le refaire pour continuer sa route.

Rapidement fatigué, car n’étant pas habitué à faire de la marche, le garçon chercha du regard un endroit où il pourrait s’asseoir et se reposer, juste quelques secondes. C’est ainsi qu’il est tombé ici, après avoir poussé la porte un peu au hasard. Le peu de lumière fait qu’il peut redresser ses lunettes de soleil et les mettre dans ses cheveux. Au début, Suzu pensa que l’endroit était vite, jusqu’à ce que son regard tombe sur l’autre. Un jeune homme aux cheveux roux et dont il parvenait à entendre la musique, même de loin. Cela voulait sans doute dire qu’il écoutait un peu, pour ne pas dire beaucoup, trop fort.

Comme il était rare que le plus jeune ait des relations humaines, pour ne pas dire qu’il s’approche des autres, l’envie de prendre ses jambes à son cou le traversa. Pourtant, au lieu de faire cela, il prit une grande inspiration avant de s’approcher. Peut-être parce que ce n’est pas courant de voir quelqu’un sous une table. Ou alors parce que c’est l’école de la seconde chance et qu’il ne peut pas passer son existence enfermé dans sa chambre à souffrir en refusant le contact. Bien sûr, les persécutions qu’il a subit ne vont pas s’effacer de son esprit. Mais les gens ne sont pas tous méchants. Une longue hésitation le traverse, puis, lentement, avec des gestes calmes mais prudents, comme s’il allait approcher un lion dans sa cage, il se met accroupi près de la table où l’autre semble… Dessiner ?

Bonjour ?

C’est ce qu’il écrivit sur son carnet, avant de tendre ce dernier vers le rouquin, là encore sans mouvement brusque. Les gens qui écoutent de la musique ne font pas forcément attention à ce qui les entoure. Mais, malgré l'absence de danger dans la situation, Suzu se sentait un brin apeuré et cela devait se lire sur ses traits.

Ça devait faire mal. Ce fut la première pensée qui le traversa. Il ne se rendit même pas compte de son propre sursaut. Son corps avait reculé légèrement, pour ne pas dire qu’il s’était un brin tendu. Courir n’était cependant pas une option dans son cas, pas après avoir passé des années sans faire fonctionner assez ses jambes. Pourtant, avant, il était doué dans le domaine. Pour échapper à ses camarades, pour ne pas subir encore plus d’horreurs. Ses jambes étaient son seul secours, son unique chance, à l’époque en tout cas. Son aîné avait sans doute été étonné de voir quelqu’un ici. Sans compter que, Suzu le remarqua seulement à cet instant, il avait un cache sur un œil. Etre borgne ne devait pas être simple.

La tête du plus jeune se pencha légèrement sur le côté, presque de façon curieuse, tandis que l’autre se remettait du choc. Cela faisait un bail qu’il n’avait pas quelqu’un d’aussi près. Enfin, outre ses parents et son frère. Et c’était un brin étrange. Quelque chose heurta alors son pied et son regard dévia jusqu’à un crayon qui avait roulé jusqu’à lui. Une légère hésitation le traversa puis le garçon le ramassa, pour ne le déposer, avec milles précautions, près de ses camarades. Du matériel à dessin. L’autre était un artiste alors ?

La réponse qu’il lui tendit le confirma. Un léger éclat passa dans son regard généralement éteint lorsqu’il vit le chibi. C’était… Mignon. Captivé, il resta quelques instants sans faire attention à ce qui était écrit. Lorsqu’il se rendit compte de son manque d’attention, il baissa la tête avant de ramener son carnet contre lui, gribouillant rapidement de nouveaux mots avec son crayon. Cette fois, il mit plus longtemps avant de savoir quoi écrire. Pour ne pas dire qu’il gomma, avec la gomme au bout de son crayon, ce qu’il avait passé sur le papier au moins deux fois. Ce ne fut que lorsque ce qu’il désirait exprimer lui sembla correct que le garçon accepta de tourner son outil de communication vers celui qui s’était cogné.

Désolé pour votre tête.
Je suis Suzu Akimoto.

Son écriture était un brin inégale et l’on y voyait un reflet évident de sa personnalité introvertie. Cependant, Suzu déplaça un peu sa main, celle qui tenait le carnet et de nouveaux mots furent visibles.

Joli dessin.

Son regard restait fixé vers le sol, témoin de sa gêne et de sa timidité.

Il était un peu étrange de discuter par messages papiers avec un jeune homme à la couleur de cheveux des plus flamboyantes. Il faut dire que Suzu était un peu perturbé pour le coup, le choc d’entrer en communication avec quelqu’un sans doute. La fatigue n’arrangeait rien à cela. Il n’empêche que, depuis son arrivée en ce lieu, la veille, il venait de faire plus de progrès que durant les trois dernières années, ce qui était plutôt miraculeux. Il frotta ses yeux du revers de sa main avant de se rapprocher, à peine, de l’autre, pour voir ce qu’il écrivait. Les chibis de son aîné étaient vraiment mignons. S’il s’était souvenu de comment sourire, il l’aurait fait à cet instant.

Sa tête se hocha, sans qu’il n’y prête vraiment attention, lorsque son regard passa sur la phrase à propos du surnom. Personne ne l’avait jamais nommé ainsi, pas même ses parents ou son frère. C’était d’ailleurs grâce à lui que Suzu était arrivé dans cet endroit à l’environnement plus sain que celui de sa propre demeure. Tout en continuant de lire, il attrapa son crayon et recommença à inscrire des mots sur son carnet avant de le montrer à son camarade.

Il faut faire attention, Lavi-san.

Suzu parlait bien sûr du choc que l’autre venait de subir au niveau de sa tête. Le plus jeune avait franchement hésité pour le surnom, entre –kun et –san. Les deux lui semblaient bien, mais la différence d’âge évidente l’avait poussée à choisir le second.

Je suis arrivé hier.

Un bâillement lui échappa et il se glissa sous la table, ses jambes étendues devant lui. Avec application et un peu plus de calme dans ses gestes, il reprit son travail d’écriture.

Merci.

La majorité des adolescents utilisent des point d’exclamations ou des abréviations lorsqu’ils s’expriment, pour prouver leur vitalité. Pas Suzu. Sa façon d’écrire donnait l’impression qu’il s’agissait d’une personne calme, presque plate, du genre à posséder une voix neutre, presque apathique. Il n’aurait cependant pas été capable de le confirmer ; Il ne se souvenait plus du son de sa propre voix.

Tu es dessinateur ?

Poser une question, cela était complexe. Ça lui demandait de s’investir, de prêter attention à son vis-à-vis, celui qu’il n’osait même pas regarder, préférant concentrer son attention sur les feuilles sous ses yeux. Au final, il laissa son carnet sur ses jambes et fit tournoyer son crayon entre ses doigts, une manie qu’il avait attrapé à force de communiquer avec du papier.

Un débutant avec du talent, alors. Suzu ne s’y connaissait pas vraiment en dessin, ce qui ne l’empêchait pas de pouvoir reconnaître un artiste quand il en voyait un. Enfin, dans le cas de son aîné, en tout cas, le talent était évident. Le gamin aurait bien aimé avoir une passion aussi, quelque chose qui l’aiderait à avancer mais, jusque là, rien n’avait éveillé son intérêt. Ce n’était pas faute d’avoir cherché pourtant. Le plus jeune se perdit quelques instants dans ses pensées, essayant de se remémorer les activités qu’il avait essayé ces trois dernières années, jusqu’à ce que la vision de la feuille déchirée le ramène à la réalité. Une fois de plus, un sursaut lui échappa. L’acte lui semblait dénué de sens mais il ne fit aucun commentaire, cessant simplement de faire tourner son crayon entre ses doigts.

Puis, vint une question, de nouveau. Pourtant, alors que ses doigts commençaient à déplacer son outil de communication sur une nouvelle feuille de son carnet, il remarqua que l’autre garçon ne semblait pas vraiment faire attention à la situation. Quelque chose le préoccupait. Même quelqu’un qui avait évité les contacts humains pendant des années pouvait s’en rendre compte. Et alors, soudainement, l’autre se retrouva debout, en train de s’énerver sur ce qui semblait être une vieille blessure.

Suzu n’avait pas peur, étrangement. Il se contenta de baisser la tête pour ne pas gêner l’autre par son regard. Celui qui refusait de parler n’avait pas envie d’embêter sa nouvelle connaissance par des questions, même si l’envie d’écrire ‘pourquoi’ ou ‘comment’ sur le papier ne cessa de le traverser pendant plusieurs minutes. Le temps continua cependant à avancer. Pendant quelques temps, le plus jeune ne fit pas le moindre mouvement, comme s’il hésitait, puis, après un moment, sa main, aussi calmement que possible, fit bouger son crayon. Les mots étaient compliqués à manier et, à plusieurs reprises, il gomma ce qu’il venait de noter pour changer ses phrases. Lorsqu’il fut satisfait du résultat, enfin qu’il le trouva assez correct, il tendit son carnet à Lavi, sans oser croiser son regard.

Si je suis là, c’est parce que quelque chose s’est produit. Quelque chose de mal, de sombre, qui m’a isolé du monde. Et je pense que c’est également ton cas. Tu ne devrais pas te cacher. Qu’elle soit morale ou physique, la douleur est encore pire si on la garde enfermée. Et, ceux ici sont tous tristes, hein, Lavi-san ?

Ça, il le savait. Tout autant qu’il n’avait aucune confiance en les autres. Les adultes ne l’avaient jamais écouté et, pour cela, jamais il ne serait capable de leur pardonner. Récupérant son outil de communication, le garçon griffonna d’autres mots, à une vitesse effrayante par rapport au calme qui se lisait sur ses traits, comme s’il était devenu incapable d’afficher ses émotions sur son visage. Cependant, lorsqu'il montra ce qu'il était incapable d'exprimer à voix-haute à Lavi, il y avait un éclat différent dans son regard, un peu plus sombre.

Je hais les écoles. Les professeurs. Les élèves. Tous sont injustes et méchants. Pourtant, ici, c’est différent, je crois. Enfin, je ne sais pas trop… Je vais attendre avant d’avoir un avis.